Une rue qui ne se laisse pas aisément gentrifier …
Les arrondissements de l’Est parisien sont régulièrement cités comme des lieux avancés de la gentrification en cours dans les anciens quartiers populaires des métropoles. Et les mutations des commerces en sont souvent le signe le plus visible : c’est le traditionnel exemple du kebab un beau jour remplacé par l’enseigne bio.
Les pouvoirs publics peuvent voir en ces changements autant de preuves de dynamisme du tissu urbain, et sont donc prompts à les encourager : la Ville de Paris, via son bras armé la SEMAEST, acquiert régulièrement des locaux pour installer des « néo-commerçants » qui seraient plus à même de satisfaire ces nouvelles clientèles.
La rue de Ménilmontant, longue montée vers les hauteurs du 20e arrondissement, est un cas d’école qui mérite que l’on s’y attarde.
De prime abord, elle coche beaucoup de cases pour devenir le nouveau, nouveau, nouveau Brooklyn de Paris (il est vrai qu’il y en eut beaucoup). Des lieux culturels reconnus (la Maroquinerie, la Bellevilloise, le Studio de l’Ermitage …). Des lieux d’urbanisme transitoire sensés créer l’évènement – ci-dessous le 88 rue Ménilmontant, « jardin éphémère » où l’on peut boire et manger, qui propose cours de yoga, événements culturels et animations diverses …
Les prix immobiliers sont au beau fixe, et attirent des agences immobilières reconceptualisées. « Bonjour Oscar » y a ainsi implanté une de ses quatre agences, « au cœur du quartier authentique de Ménilmontant » selon le site.
Une épicerie vintage propose de faire son marché bio tout en chinant meubles et objets de décoration.
Pourtant, tous les concepts calibrés pour attirer le chaland bobo (parfois confondu avec le pigeon parisien) ne trouvent pas toujours leur cible. Il en fut ainsi de Flakes, « concept store de petit déjeuner » qui proposait des bols de céréales dans un décor acidulé.
Plus étonnant, l’enseigne de burgers gourmets « Blend », concept éprouvé qui s’était implanté sur un local bien exposé au bas de la rue, n’aura pas tenu un an. Les burgers à 12 € ont vite été remplacés par le poulet grillé.
Le profil sociologique et marchand de la rue apparaît au final comme étant plus divers et singulier : le quartier ne saurait se résumer à la gentrification annoncée, car il accueille toujours kebabs, coiffeurs à 8 € la coupe, et ateliers de confection chinois cachés derrière des rideaux métalliques discrets.
Le KFC du bas de la rue est une des têtes de pont de l’enseigne : c’est la véritable locomotive commerciale du secteur (avec peut-être le magasin Mr Bricolage tout proche).
Les commerçants qui connaissent leur quartier sont agiles et évoluent, sans caricaturer leurs concepts : par exemple ce « bar à tapas » turc …
La diversité et l’offre juste (comprendre, au bon rapport qualité / prix) priment donc, dans un quartier qui ne se rêve pas forcément en dernier lieu à la mode.
Pour preuve, le café associatif de la paroisse Notre Dame de la Croix, qui fait face à la boucherie halal … à côté d’une librairie libertaire (Le Monte-en-l’air) : l’esprit des lieux est ici bien résumé.