Changer de focale pour appréhender les enjeux commerciaux dans les centres-villes traditionnels
Le fossé grandit entre les centres-villes métropolitains et les centres-villes traditionnels (« traditionnels » en ce sens que le profil des villes moyennes a bien moins évolué que celui des métropoles, depuis les vingt dernières années). Pourtant, les solutions pour accompagner le développement des villes traditionnelles sont abordées par des experts qui, pour la plupart (auteur de ces lignes compris), vivent dans les métropoles. Nous gardons un souvenir ému de la ville de notre enfance, mais l’image d’Épinal est bien éloignée de la réalité de ceux qui la vivent au quotidien.
Une remise en question s’imposerait donc, quant aux principaux chantiers à aborder pour le développement des centres-villes, en s’appuyant sur ceux qui les pratiquent – au premier rang desquels, les commerçants et habitants (ex, actuels ou futur clients …)
Trois angles d’observation pourraient ainsi être appréhendés :
Les personnes qui fréquentent ces centres-villes sont de moins en moins des citadins
Poursuite de l’étalement urbain, attrait des communes périurbaines et rurales, différentiels dans les coûts de logement : autant de facteurs qui contribuent à faire baisser la part de la population habitant en centre-ville dans la population globale des agglomérations concernées.
Aujourd’hui, les personnes qui fréquentent les centres-villes traditionnels pour leur travail, leurs loisirs, ou leurs démarches administratives ne vivent plus « en ville ». Conséquence évidente : les centres-villes doivent se rendre accessibles … et n’en déplaise aux esprits chagrins, l’accessibilité au sein des territoires non métropolitains, c’est la voiture. Celle-ci peut bien sûr être canalisée, orientée, maîtrisée … mais au final, elle doit être la bienvenue en centre-ville ou à proximité immédiate (= moins de 5 minutes de marche !)
Autre conséquence : les clients potentiels du centre-ville n’y passent plus au quotidien. Celui-ci doit donc s’imposer comme une destination régulière, qui mérite le déplacement. Sur ce point, beaucoup d’efforts restent à faire, notamment en termes de communication et marketing territorial.
La mobilité professionnelle y est moins importante … et les habitants n’en sont que plus attachés à leur territoire
Quand on a un emploi, on y tient : c’est d’autant plus vrai en dehors des métropoles, où il peut être difficile de retrouver un poste sans déménager.
Cette situation, couplée aux moindres capacités de mobilité (voir pour s’en convaincre la couverture du réseau à grande vitesse hors métropoles), crée de fait un attachement local. Les gens restent plus longtemps, et n’ont pas envie d’aller voir ailleurs car famille, amis, engagements financiers liés au logement les fixent sur le territoire.
Or, les centres-villes sont les seuls véritables lieux de référence à l’intérieur de leur bassin de vie : c’est là un enjeu majeur de différenciation auprès des clients locaux, attachés à leur territoire. Pourtant, le marketing des villes cible bien plus les touristes potentiels (pour la plupart … métropolitains), que les habitants présents à l’année, qui continuent tout de même à être les premiers consommateurs sur le territoire !
Encore faut-il s’adresser à eux, au travers d’un « marketing de l’attachement territorial » et de l’événementiel du quotidien, qui remet le centre-ville au cœur de l’identité locale.
Moins de standardisation, plus de singularités : un défi face à l’offre numérique
L’avènement des sites de e-commerce a mis fin au monopole relatif exercé par les enseignes nationales en capacité de couvrir les villes moyennes. Jusqu’au milieu des années 2000, les habitants de ces territoires n’avaient que peu de choix pour leur shopping : les mêmes enseignes, pour la plupart positionnées sur le milieu de gamme, étaient présentes en centres-villes et tenaient un marché relativement captif. Les prix n’étaient d’ailleurs pas particulièrement bon marché, et reflétaient cette position pour le moins confortable.
La donne a bien sûr changé : au travers du numérique, l’offre s’est développée de façon exponentielle. Les prix sont devenus transparents : tout peut se comparer et s’évaluer. Et alors que les métropoles gardent une longueur d’avance en captant des concepts marchands de pointe, rares, avec un service qui ne peut se comparer avec le e-commerce, les autres centres-villes gardent les mêmes enseignes qu’il y a dix ans.
Pour éviter que la lassitude prenne le pas parmi les habitants, la singularité doit primer. Les commerçants indépendants, au premier rang desquels les métiers de bouche, sont naturellement les plus à même de porter ce supplément d’âme qui fait un centre-ville. Les lieux de convivialité, bars, restaurants, mais également espaces publics, jouent également un rôle spécifique. Les enseignes émergentes, encore peu développées à l’échelle nationale et pour lesquelles tout reste encore à faire (quelques exemples ici), peuvent aussi participer de cette identité des lieux.
On l’aura compris : plutôt que de dresser la liste des 100 enseignes incontournables (incontournables car vues partout), on préfèrera un travail de dentelle pour identifier avec justesse les concepts marchands ou événementiels singuliers, et celles et ceux en capacité de les porter localement.